Les objets d'écriture
Encrier
A portée de main du scribe égyptien, puis de l’écolier romain, sous des formes très diverses, modestes ou précieuses, l’encrier a accompagné chacun des pas de notre histoire de l’écriture.
A l’origine, les encriers étaient mobiles ou portatifs. On a en effet longtemps utilisé des cornets de bois ou de corne, en forme de poire, dont le couvercle fermait à pas de vis. Mais, s’ils ne se brisaient pas, ils se fendillaient assez facilement et laissaient échapper l’encre. Sont alors venus de petits encriers en verre, placés au milieu de plaques de liège de forme carrée, très vite remplacés à leurs tours par des encriers cylindriques en verre cannelé, avec ouverture au fond d’un entonnoir. L’inconvénient de ce modèle était qu’il glissait sur les tables inclinées et se brisait en tombant sur le parquet. Pour résoudre ce problème, on a pratiqué des trous sur la partie supérieure des tables, afin de recevoir les encriers. Mais cet encrier à entonnoir était malheureusement très difficile à nettoyer ; il y restait toujours quelques gouttes de l’eau employée à le rincer et, quand il s’y introduisait un corps solide - une plume de fer par exemple - on ne pouvait souvent pas l’en retirer. C’est ce qui a alors donné la préférence aux petites fioles à base très large et de peu de hauteur. Rappelons que l’encrier en forme de siphon a aussi été utilisé comme encrier portatif. Mais, s’il mettait l’encre à l’abri des poussières de l’air, il était difficile à placer sur le bord plat des tables d’école et se trouvait exposé à être fréquemment renversé.
Toutes les formes d’encriers mobiles ont eu des inconvénients dans l’école. C’est la raison pour laquelle les encriers fixes ont été adoptés.
« Il ne faut pas laisser aux jeunes enfants le maniement de ce qu’il est facile de briser ou de renverser. Il importe donc que l’encrier ait une place fixe, à droite de l’élève, et à peu de distance de son cahier. On ne saurait approuver que dans une table à deux places il n’y ait qu’un encrier, car l’un des élèves l’aurait à sa gauche et ne l’atteindrait que difficilement, en portant le bras sur ce qu’il vient d’écrire. »
« Nouveau dictionnaire de pédagogie », Ferdinand Buisson, 1911
L’encrier fixe n’a d’abord été qu’un petit gobelet de plomb encastré dans la table. On y versait de l’encre…qui bientôt s’épaississait de poussières et de détritus de toutes sortes. L’élève pouvait y plonger tout ce qu’il voulait (morceaux de buvard et de gomme, craie…). Et il ne s’en privait pas ! Rarement on enlevait le dépôt qui s’y trouvait, avant de verser de nouveau de l’encre, de sorte que l’encrier n’était généralement pas d’une propreté irréprochable. On a bientôt songé à fermer l’encrier de plomb au moyen d’un petit couvercle ; mais l’élève ne fermait pas toujours l’encrier quand il cessait d’écrire.
La plupart des constructeurs de mobilier scolaire ont gardé la forme du godet de l’encrier fixe, mais ils en ont varié la matière et la capacité. Au plomb, ils ont substitué le fer galvanisé, le verre, la porcelaine, ou la fonte émaillée. Pour la fermeture, au lieu d’un disque tournant, les uns ont employé une plaque glissant dans des rainures, d’autres un couvercle s’ouvrant à charnière sur le diamètre de l’orifice.
M. CARDOT, ingénieur à Paris, a réellement innové, et son encrier de porcelaine va réaliser un progrès sur les autres formes. En effet, le récipient va en se rétrécissant légèrement, et le fond présente une petite rigole où se dépose la partie épaisse de l’encre, de sorte que la plume, en pénétrant par une ouverture centrale, ne rencontre que de l’encre bien fluide. Le couvercle, en porcelaine comme le récipient, ferme hermétiquement, grâce à un bourrelet en caoutchouc. Le trou percé au centre ne laisse passer que la plume. On retire l’encrier de la table pour le nettoyer, et cette opération, qui n’est nécessaire qu’une fois par mois, se fait facilement.
« La matière, la forme et la place de l’encrier sont fort importantes dans le mobilier scolaire. L’encre est une matière qu’il importe de maintenir fluide et à l’abri d’impuretés ; son usage, par les jeunes enfants surtout, doit en être réglé et surveillé. Il est donc nécessaire que l’encrier d’école garde l’encre bien propre, que le nettoyage en soit facile, et que les élèves ne puissent rien y introduire que leur plume. »
« Nouveau dictionnaire de pédagogie », Ferdinand Buisson, 1911
Plumes métalliques
C’est l’Anglais Wyse qui, vers 1803, fabriqua les premières plumes d’acier. Leur usage commença à se répandre dans la période comprise entre 1820 et 1830, et c’est vers 1840 que les plumes métalliques pénétrèrent dans les écoles primaires françaises : la plume de cuivre ne concurrençait en effet que très mal la plume d’oie taillée. Les calligraphes, qui tenaient à former des pleins et des déliés, préféraient la plume d’oie, et beaucoup d’écrivains lui sont restés attachés jusqu’à leur dernier jour. Ce qu’on reprochait surtout aux plumes d’acier, c’était de se gâter promptement par l’action corrosive de l’encre. D’ailleurs, pour combattre cet inconvénient, les fabricants avaient recours au bleuissage, au bronzage et même à la dorure, mais sans beaucoup de succès. La nature des encres y était sans doute pour beaucoup.
L’heure de la revanche sonna néanmoins pour notre industrie nationale lorsque messieurs Blanzy et Poure fondèrent, à Boulogne-sur-Mer, en 1836, la Compagnie française, et lancèrent sur le marché d’incomparables plumes d’acier qui balayèrent la concurrence étrangère.
L’estocade finale fut donnée par la populaire Sergent Major, merveille d’esthétique et d’efficacité, arme absolue de l’Eduction nationale et de l’école laïque, dont les boîtes de 144 plumes (douze douzaines) étaient scellées d’un ruban tricolore avec, sur le couvercle, des scènes patriotiques de l’histoire de France.
Sans doute l’histoire de notre production nationale se confond avec celle de l’estimable maison Blanzy-Poure, mais il y eut d’autres fabricants dont la découverte passionna les chercheurs. Henri Charles Lavauzelle, par exemple, signa de superbes plumes dites de ronde par référence au type d’écriture auquel elles étaient destinées. Puis Baignol et Fargeon, Mallat, etc. illustrèrent une production qui fit le bonheur - ou la déconvenue ! - des écoliers et autres commis aux écritures
« Il y a, sans doute, un choix judicieux à faire entre les divers genres de plumes métalliques : il faut éviter d’en prendre qui aient un bec trop effilé, surtout pour les jeunes enfants ; celles qui l’auraient peu flexible doivent être rejetées aussi. Les plus employées sont les plumes dites à lance ».
Nouveau dictionnaire de pédagogie, F. Buisson, 1911
Le règne des plumes d’acier dura à peine plus d’un siècle ; c’est dire s’il fut bref, en regard de celui de la plume d’oie, qui domina le marché occidental pendant un millénaire, ou de celui du calame, répandu de l’Atlantique à l’océan Indien pendant près de trois millénaires. Leur vie fut brève, certes, mais active et glorieuse, accompagnant et favorisant l’essor prodigieux de la pratique de l’écriture aux XIXème et XXème siècles.
Ceux qui ont connu les plumes métalliques sur les bancs de l’école, se souviennent sûrement de leurs premières tentatives de scripteurs, des bavures et des pâtés, mais aussi, la maîtrise venue, du suave grattement du bec sur la feuille quadrillée où des caractères bien formés naissaient dans l’harmonie des pleins et des déliés.